L’Alabama vient d’adopter une loi interdisant l’avortement, même en cas de viol ou d’inceste. Une seule exception : si la vie de la femme est en danger ou s’il existe un “danger léthal” pour son fœtus. Cette loi n’est pas isolée aux Etats-Unis…
Pauline Delage – Même si c’est la loi la plus restrictive qui existe désormais aux Etats-Unis – c’est une quasi-interdiction de l’avortement – ce n’est pas la seule : le contexte états-unien est généralement très inquiétant de ce point de vue. On assiste à une accélération de mesures extrêmement limitatives dans plusieurs Etats. Depuis le début de l’année, quinze Etats ont introduit, examinent ou ont voté des lois n’autorisant l’avortement que jusqu’à six semaines de grossesse – soit quand beaucoup de femmes ne savent pas encore qu’elles sont enceintes. Ces lois s’inscrivent dans un contexte de décennies d’attaques des conservateurs contre la décision de la Cour Suprême Roe vs Wade de 1973.
Les stratégies qui visent à rendre illégale l’IVG ne sont d’ailleurs pas nouvelles, et se sont développées dès la fin des années 1970, avec l’amendement Hyde, en 1976, qui empêchait le remboursement des frais d’IVG par Medicaid, l’assurance santé. Les contraintes juridiques qui pèsent sur les femmes se sont multipliées (imposition de délais de réflexion, obligation d’avoir un rendez-vous avec un.e conseillèr.e, autorisation parentale, limitation du temps légal). Mais une autre stratégie consiste à empêcher les médecins de pratiquer des avortements, comme c’est le cas avec cette loi qui propose des peines d’emprisonnement des médecins. Et la mobilisation juridique et législative peut s’accompagner d’actions d’intimidation devant les cliniques d’IVG, et ce, en s’enchaînant à l’entrée, en brandissant des photos de fœtus, souvent à des stades avancés de la grossesse, pour culpabiliser les femmes.
Cette décision de la Cour Suprême, la plus haute juridiction des Etats-Unis, encadre la réglementation de l’IVG. Les anti-avortement cherchent à la renverser, en proposant des lois très restrictives, voire qui interdisent complètement l’IVG, pour que cela remonte jusqu’à la Cour suprême, laquelle doit juger de la constitutionnalité des lois et de décisions de justice. L’objectif manifeste des promoteurs de la loi d’Alabama est bien de remettre en cause la constitutionnalité de Roe vs Wade.
La décision passe donc forcément par la Cour suprême. Quelle est sa position sur la question ?
C’est clairement l’un des enjeux de la présidence Trump. Bien que la Cour suprême soit supposée être apolitique et neutre, c’est une instance très politique puisque les juges ont une manière d’interpréter le droit de façon plus ou moins conservatrice ou libérale. Le président des Etats-Unis a le droit de nommer un juge, dès lors qu’un membre de la Cour suprême meurt ou se retire. Donald Trump, lui, a nommé Brett Kavanaugh, dénoncé pour des violences sexuelles sur une femme, et Neil Gorsuch, lui aussi très conservateur. L’équilibrage est, désormais, conservateur à la Cour suprême. Il y a donc des risques très lourds qui pèsent sur l’IVG aux Etats-Unis, et pas seulement en Alabama.
L’avortement pourrait être interdit aux Etats-Unis ?
Avec les menaces qui pèsent sur les médecins, le conservatisme montant et les restrictions qui se multiplient, il est déjà impossible pour les femmes d’avoir recours à l’avortement dans certains territoires. Et outre l’aspect juridique, il existe aussi des contraintes économiques qui pèsent lourdement sur l’accès à l’avortement, notamment des femmes populaires et racisé.e.s.
Dans les années 1990, les militant.e.s féministes et pro-choix se sont énormément mobilisé.e.s, dans les tribunaux et parfois dans la rue, pour s’opposer aux actions des anti-choix et pour la justice reproductive. Aujourd’hui, on peut assister à une intensification des mobilisations, dans la continuité de l’histoire des mouvements pro-choix, et plus particulièrement, des mouvements qui se sont constitués, comme la Women’s March, en réponse à l’élection de Trump, réputé pour son sexisme patent et son soutien aux anti-choix.
Propos recueillis par Clara Robert-Motta