On dit l’Europe centrale et orientale indécrottablement nationaliste, réactionnaire, populiste et xénophobe. La Slovaquie, qui vient d’élire au second tour de la présidentielle l’avocate Zuzana Caputova, 45 ans, novice en politique, pro-IVG et LGBT, activiste anti-corruption, détonne dans la région.
Novice en politique, Zuzana Caputova, 45 ans, était jusque-là surtout connue dans son pays pour le succès majeur de sa carrière d’avocate : elle a réussi, au terme d’un combat de dix ans, à empêcher la construction d’une décharge publique d’une surface équivalente à douze terrains de football dans sa ville de Pezinok, dans la banlieue de la capitale slovaque Bratislava, en saisissant la Cour suprême de Slovaquie. Plus tard, la Cour européenne, sur la base de cette affaire, a rendu une série de décisions qui déterminent désormais la procédure de résolution de tels différents au sein de l’UE.
En 2016, Zuzana Caputova a reçu le prestigieux Goldman International Award, récompensant ses réalisations en matière de protection de l’environnement. Elle fait donc figure de divine surprise dans une région dominée par le nationalisme, la xénophobie, le populisme et la corruption. La candidate avait reçu le soutien du président sortant Andrej Kiska, lui aussi un ex-outsider en politique, self-made man enrichi aux Etats-Unis, mais aussi du principal candidat d’opposition libéral jusque-là, le scientifique Robert Mistrik, qui s’était retiré de la course à son profit. Après avoir pulvérisé au premier tour deux candidats d’extrême droite xénophobes – le néonazi Marian Kotleba avait par exemple pour slogan « Les Slovaques sont les plus belles, on n’a pas besoin d’étrangères » -, Caputova affrontait au second tour pas moins que le Commissaire européen à l’Energie Maros Sefcovic, soutenu par le parti populiste de gauche au pouvoir Smer. Elle l’a nettement battu, avec 58% des voix. et devient la première femme présidente du pays.
Voter Caputova, « un grave péché »
Une victoire qui constitue un choix en fin de compte assez logique dans un pays bouleversé par l’assassinat, en février 2018, du très jeune journaliste d’investigation Jan Kuciak, avec sa compagne Martina Kusnirova, qui enquêtait sur les liens de proches du parti Smer avec la mafia italienne implantée dans l’Est du pays. Son slogan électoral était « Empêchez le mal, ensemble, nous le ferons ». Son programme prévoit la réforme radicale des forces de l’ordre et du système judiciaire, un domaine dans lequel le président slovaque exerce une influence notable, même si ses pouvoirs constitutionnels sont limités.
Avocate ayant commencé à s’occuper de droit de la famille et de violences domestiques, en particulier d’enfants, avant de collaborer avec plusieurs ONG actives dans la défense des droits, Caputova est un visage neuf et inspirant pour une majorité de ses compatriotes, lassés d’une classe politique perçue comme déconnectée et corrompue. Mère divorcée de deux filles, elle n’hésite en outre pas à prendre des positions libérales en matière de mœurs, dans un pays de tradition très catholique. Elle a déclaré son soutien à l’IVG et même à l’adoption d’enfants par les couples homosexuels, une position qui a fait bondir les cercles les plus réactionnaires de l’Eglise catholique. Ainsi, l’archevêque de Trnava, Jan Orosch, a appelé en chaire ses ouailles à ne pas voter pour elle, sous peine de commettre « un grave péché », lui préférant son adversaire, pourtant ex-apparatchik du parti communiste. Un prêche que Caputova a accueilli avec flegme : « Ma réaction sera la même qu’envers les déclarations comparables de politiciens. Je vois la déclaration de l’archevêque comme un message de désunion. Je voudrais inciter les gens à ne pas se laisser diviser. L’arrogance du pouvoir n’a réussi à s’imposer jusqu’ici que parce que les gens biens étaient divisés ». Dont acte.
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