Une vidéo choc partagée plus de 9.000 fois depuis sa publication le 20 juin sur Facebook, prétend montrer « la souffrance du foetus lors d’un avortement ». Il s’agit en réalité d’un film de fiction réalisé par deux hommes anti-IVG avec l’aide d’une association chrétienne « pro-vie », alors même qu’un embryon de 13 semaines ne peut pas ressentir de douleur, selon plusieurs gynécologues interrogés par l’AFP.
La page Facebook « L’exemple du couple chrétien », suivie par 176.000 personnes, a publié le 20 juin une vidéo censée avoir été tournée lors d’une IVG chirurgicale guidée par ultrasons. On y voit un foetus se contracter longuement avant d’être aspiré par une pompe.
La légende de la publication, partagée depuis environ 9.500 fois et ayant suscité plus de 3.000 réactions, précise : « Regardez bien la souffrance du fœtus dans un avortement. Pas de mots… Je suis contre l’avortement ! »
Cependant, une rapide recherche inversée sur les images constituant la vidéo permet de se rendre compte qu’elles sont en réalité issues d’un film de fiction intitulé « Unplanned », sorti le 29 mars 2019 aux Etats-Unis, au moment où de nombreux états américains cherchent à limiter le droit à l’avortement.
Le film, disposant de peu de moyens et à la diffusion limitée dans les cinémas américains, a rencontré un succès surprise avec plus de 8,6 millions de dollars de recettes en Amérique du Nord, seulement une semaine après sa sortie (notre dépêche à ce sujet ici).
« Unplanned » retranscrit l’histoire vraie d’Abby Johnson, une ancienne directrice d’un centre d’IVG de Planned Parenthood devenue une militante anti-avortement après avoir assisté à un avortement chirurgical guidé par ultrasons. La vidéo reprise dans la publication Facebook est censée représenter cette expérience.
Les images montrées sont-elles réalistes ?
Si on se fie à ce que raconte Abby Johnson sur son site, la scène est censée représenter l’avortement par aspiration d’un embryon de 13 semaines. Trois gynécologues consultés fin juin par l’AFP attestent que la taille de l’embryon à l’écran correspond effectivement à celle d’un foetus de 13 semaines.
En France, une IVG peut être pratiquée jusqu’à la fin de la 12ème semaine de grossesse, soit 14 semaines après le 1er jour des dernières règles.
Aux Etats-Unis, selon l’arrêt emblématique « Roe v. Wade », l’avortement est possible dans la limite de « viabilité du foetus », soit jusqu’environ 24 semaines de grossesse, sauf dans certains Etats qui ont récemment adopté une politique plus restrictive.
Les trois médecins sont cependant plus réservés sur la portée de ces images : « Pour moi, ces images ne sont pas tout à fait irréalistes, mais elles sont sélectionnées intentionnellement pour faire peur aux femmes », explique le gynécologue Bernard Hédon, chef de service au CHU de Montpellier, car elles sous-entendent que les mouvements de l’embryon sont dus à la douleur.
« Pendant une IVG, le foetus peut effectivement avoir des mouvements brusques, comme pendant le reste de la grossesse d’ailleurs, mais ça n’a aucunement une signification de douleur », explique-t-il. Il y a des foetus qui peuvent être très mobiles en temps normal ».
« Lorsqu’on introduit une vacurette, effectivement ça secoue le sac ovulaire et ça fait remuer l’embryon », confirme Sophie Gaudu, gynécologue obstétricienne, responsable de l’unité de planification familiale et d’IVG de l’hôpital Bicêtre, « mais pour ressentir de la ‘douleur’, qu’on appelle en réalité ‘nociception’, ce n’est pas avant 20 semaines « .
En effet, « on sait qu’un embryon n’a pas encore développé ses centres de la douleur à 13 semaines », assure le Dr Israël Nisand, gynécologue obsétricien et président CNGOF (Collègue National des Gynécologues Obsétriciens Français), « c’est plutôt vers 22 semaines d’aménorrhée (absence de règles depuis plus de trois mois chez une femme réglée, NDLR) » .
« L’alternance des plans sur l’écran avec ceux sur un visage en pleurs sont là pour suggérer que c’est de la douleur, on veut jouer sur l’émotionnel, c’est le genre de film typique des organisations qui veulent convaincre que l’IVG est une mauvaise chose », ajoute Dr Hédon, rejoint par son collègue : « ces images sont habilement truquées et montées pour effrayer les femmes ».
La gynécologue-obstétricienne Sophie Gaudu dénonce aussi « tout un décorum de la douleur » et rappelle que la patiente est anesthésiée pour une IVG chirurgicale et qu’il en est donc de même pour l’embryon qu’elle porte. Elle souligne qu’une IVG chirurgicale par échoguidage ne se déroule pas de cette manière, notamment dans la façon dont est aspiré le foetus.
Une enquête du magazine Texas Monthly avait mis au jour une série d’incohérences dans le récit d’Abby Johnson au sujet de l’avortement qui aurait changé sa perception de l’IVG.
La plus grosse étant que la clinique de Bryan (Texas), où elle officiait, n’a aucune trace dans ses archives d’une opération qui pourrait correspondre à celle décrite par Mme Johnson, que ce soit en matière de date, d’âge de l’embryon ou bien du profil de la patiente.
Qui est derrière le film « Unplanned » ?
Loin d’être impartial ou scientifique, le film « Unplanned » a été réalisé par deux cinéastes aux opinions anti-IVG affichées. Voici notamment ce qu’ils déclarent sur le site officiel du film : « L’avortement n’est pas un +péché impardonnable+. Le Seigneur offre miséricorde, grâce et pardon qui conduisent à la guérison et à la restauration de l’identité. Notre voeu est que cette dévotion soit le catalyseur qui amorce un cheminement personnel de guérison pour chaque personne affectée par l’avortement ».
Le film est d’ailleurs distribué aux Etats-Unis par Pure Flix, une société de production de films liés au christianisme évangélique, souvent vendu comme le « Netflix des chrétiens ».