Les lois restrictives votées dans certains États américains, la propagation de fausses cliniques, la formation déficiente des médecins, l’éloignement des points de service et l’avancée des partis politiques opposés à l’avortement illustrent la nécessité de poursuivre la lutte pour maintenir les droits des femmes, selon quatre spécialistes. Stéphan Bureau discute avec eux de la possibilité que cette question soit à nouveau débattue lors de la prochaine campagne électorale fédérale.
Nos invités sont Françoise Girard, de l’International Women’s Health Coalition, Mariane Labrecque, de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), Martin Winckler, ancien médecin et militant féministe, et Josée Laramée, des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) francophones d’Ottawa.
Violée à 18 ans, Josée Laramée s’est fait convaincre par des religieuses de mener la grossesse à terme, avec la promesse qu’elle recevrait de l’aide pour s’occuper de l’enfant. « J’ai donc accouché d’un fils après une grossesse extrêmement nerveuse, raconte-t-elle. J’ai eu quatre transfusions de sang, j’ai failli mourir, et Jean-François est venu au monde avec une tumeur dans l’hypothalamus. Est-ce que c’était dû au trauma, au stress? Je n’en ai aucune idée. […] Il est encore à l’hôpital, il a 32 ans. Ça m’est arrivé souvent de me dire : « Pourquoi je ne l’ai pas fait? » Il souffre beaucoup. »
Mouvement orchestré, et non spontané
Françoise Girard souligne que pendant que les lois sur l’avortement s’assouplissent partout dans le monde, les États-Unis sont l’un des seuls endroits où ce droit recule, et elle n’exclut pas que cela atteigne bientôt le Canada. « Tout ça fait partie d’un mouvement orchestré par les églises évangéliques blanches, et l’Église catholique américaine, et c’est financé très généreusement par des donateurs conservateurs, souligne-t-elle. Ce n’est pas un mouvement spontané contre l’avortement. […] Ils ont essayé de l’exporter en Pologne, ils essaient de le faire en Hongrie… Tout ça fait partie de ce qu’ils appellent un « retour à l’ordre naturel ». »
Ce sont de grands mouvements traditionnels qui sont alliés aux grandes forces populistes anti-immigration, qui ont du succès un peu partout dans le monde en ce moment. Ils se servent du corps des femmes comme outil de mobilisation.
Françoise Girard
L’approche des médecins à revoir
Martin Winckler en a contre l’attitude paternaliste de ses ex-collègues médecins qui, par leur formation, sont amenés à statuer sur la santé reproductive des femmes de manière invasive. « La médecine occidentale est foncièrement sexiste. Elle est fondée sur l’étude du corps humain mâle en bonne santé. C’est ça, la norme. Or, la physiologie féminine est bien plus compliquée que la physiologie masculine. Il y a des incidents, des accidents, des transformations innombrables qui n’existent pas chez l’homme. Ça n’est pas étudié en tant que norme, c’est étudié en tant que tout petit agenda qui est celui de la gynécologie obstétrique. »