Pour activer la légalisation de l’avortement, l’association de Chakib Chraibi propose un amendement de l’article 453 du Code pénal. Les associations des droits de l’homme ont organisé un sit-in le 25 juin pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps et faire plier le gouvernement. Entre 600 à 800 interruptions de grossesse sont pratiquées illégalement tous les jours.
L’Association marocaine contre l’avortement clandestin (AMLAC), soutenue par plusieurs associations féminines, a organisé, mardi 25 juin, un sit-in devant le Parlement. Un mouvement de contestation observé en marge de la discussion du projet de loi sur l’avortement actuellement en cours à la commission de la justice. L’objectif, selon Chakib Chraibi, gynécologue et président de l’association, «est de manifester notre désaccord quant au contenu de cette loi et de demander la rectification du texte en discussion qui ne prend en considération que la santé physique de la femme et de l’enfant. Alors que nous estimons que le Maroc devrait s’aligner sur la définition retenue par l’Organisation mondiale de la santé qui englobe aussi bien le bien-être physique que le bien-être mental et social». Une extension de la définition qui est fondée et nécessaire, avance le président de l’AMLAC, en raison des nombreuses conséquences d’une grossesse non désirée. Il est à rappeler que le Parti du progrès et du socialisme (PPS) avait déposé, en avril 2018, une proposition de loi relative à l’amendement de l’article 453 du code pénal en vue d’une extension de la définition de la santé. Cet article dispose que «l’avortement n’est pas puni lorsqu’il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu’il est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien avec l’autorisation du conjoint».
Lors du sit-in, les manifestants, pour marquer une fois de plus la nécessité de l’extension de la définition de la santé, ont chacun déposé une poupée en chiffon sur laquelle est inscrit le chiffre 453 en référence à l’article du code pénal à amender. Mais aussi, «cela constitue un symbole rappelant les centaines d’enfants tués ou abandonnés par leurs mamans parce qu’elles n’ont pas pu avorter», explique Chakib Chraibi.
En effet, au Maroc, les femmes ne peuvent mettre fin à une grossesse car l’avortement est puni par la loi d’une peine de prison ferme. Il n’est autorisé que si la vie de la femme enceinte est en danger. Pourtant, selon l’AMLAC entre 600 à 800 interruptions de grossesse sont pratiquées illégalement tous les jours, la majorité est effectué par la prise de potions et autres préparations concoctées par des herboristes, mais la plupart, dit-on dans le milieu médical, se font sous le manteau dans les cliniques et cabinets de gynécologie. Mais encore faut-il en avoir les moyens. Un avortement est facturé 4000 à 10000 DH dans une clinique. N’ayant pas l’argent nécessaire, les femmes et jeunes filles concernées optent pour des recettes traditionnelles à seulement 300 DH.
Des pratiques toutes dangereuses, aussi bien l’une que l’autre, puisqu’elles menacent la vie des femmes et les exposent à des hémorragies, des intoxications et des délabrements des organes génitaux.
Aucune avancée depuis 2016
Ce qui constitue une réelle problématique sociale au Maroc, puisque l’on y compte près de 300 000 avortements clandestins par an. Ce qui n’est pas près de changer si, selon les associations défendant les droits humains, le projet de loi ne subit pas l’amendement proposé. Selon le texte en discussion, l’avortement ne sera autorisé que dans trois cas : si la femme est victime de viol, si elle est victime d’inceste, après ouverture d’une enquête judiciaire, si elle est atteinte de troubles mentaux qui ne sont pas encore déterminés par le projet de loi. Concrètement, dans les deux premiers cas, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) devra avoir lieu dans un délai de 90 jours après le début de la grossesse. En cas de malformation du fœtus, l’avortement pourra être effectué avant le 120e jour de grossesse, voire plus s’il s’agit de maladies qui demandent plus de temps pour être détectées. Mais il ne pourra pas dépasser 22 semaines.
Dans tous les cas, l’IVG devra être effectuée par un médecin dans un centre hospitalier public ou dans une clinique agréée.
Au-delà des statistiques relatives à l’avortement clandestin et des conditions autorisant l’interruption de la grossesse, ce dossier, qui n’a connu aucune avancée depuis 2016, pose un autre problème : l’intégration du projet de loi dans la réforme globale du code pénal et sa discussion au niveau de la commission de la justice.
Ce qui est, selon les associations, doublement inquiétant parce qu’il faudra attendre peut-être des années encore pour voir aboutir cette réforme, d’une part, et, d’autre part, qui dit examen du texte en commission de la justice, dit qu’il y aura toujours pénalisation de l’avortement. Une double inquiétude qui pousse l’AMLAC ainsi que les associations féminines à réclamer, une fois encore, «un simple amendement de l’article 453 du code pénal en vue d’une extension de la définition de la santé», souligne le docteur Chraibi qui tient à préciser, à l’instar des associations féminines, que le projet de loi sur l’avortement devrait être discuté par la commission des affaires sociales et de la santé et non pas la commission de la justice. Car, appuient des membres de l’Association démocratique des femmes du Maroc, «il importe de tenir en compte les conditions sociales difficiles dans lesquelles vivent les femmes concernées et en particulier celles qui ont été violées ou victimes d’inceste. Selon les remontées d’informations provenant des centres d’écoute des femmes, 10% des grossesses non désirées sont des suites de viol ou encore d’inceste». L’aide apportée à ces femmes impose, en premier lieu, l’interruption de la grossesse et, en deuxième temps, une prise en charge psychologique en vue d’une éventuelle intégration sociale et familiale.
Sensibilisation à l’usage des contraceptifs
Par ailleurs, Chakib Chraibi ne manque pas de souligner que «durant ces deux dernières années, l’étau s’est refermé sur les femmes, en couple ou mères célibataires, désirant avorter pour diverses raisons. Et ceci parce que les autorités qui, il faut le dire, fermaient les yeux il y a quelques années, sont devenues actuellement plus vigilantes. Preuve en est, on compte de plus en plus d’arrestations de médecins et de personnel paramédical impliqués dans des affaires d’avortement. Tout comme on constate que les médecins refusent de plus en plus d’effectuer des avortements même lorsque ceux-ci s’imposent». A ce propos, on retiendra le cas d’une femme qui s’est présentée, selon l’AMLAC, à la maternité des Orangers de Rabat pour un avortement car on vient de lui diagnostiquer un cancer du sein.
Médicalement, une grossesse est un facteur aggravateur du cancer du sein. Et la grossesse est également contre-indiquée puisque la patiente doit suivre un traitement de chimiothérapie. Suite à une réunion du staff médical, aucune décision n’a été prise, poursuit-on à l’association, pour autoriser l’avortement. Un refus qui, il faut le souligner, met la vie de cette maman en danger !
L’AMLAC déplore donc le retard pris par l’adoption du projet mis en chantier en 2016 suite à l’appel lancé par S.M Mohammed VI en mai 2015 pour la modification de la loi autorisant l’avortement dans certains cas de grossesse. Et elle regrette également que la discussion du projet se fasse au niveau de la commission de la justice alors que son examen en commission des affaires sociales et de la santé aurait été plus approprié, vu les répercussions sociales, mentales et psychologiques sur les femmes et les enfants nés de grossesses non désirées.
Le sit-in observé en début de semaine n’est qu’une première action de contestation, explique Chakib Chraibi, qui précise que son association, soutenue par un grand nombre d’associations féminines, poursuivra sa mobilisation pro-avortement. Par ailleurs, l’AMLAC mène régulièrement des campagnes de sensibilisation des femmes et jeunes filles à l’utilisation de la contraception et en particulier la pilule du lendemain. Un produit contraceptif qui devrait être, réclament les associations féminines, disponible et distribué dans les centres de santé dans le cadre des actions de prévention.
En 2019, l’avortement est toujours illégal et puni au Maroc !
Au Maroc du XXIe siècle, l’avortement n’est toujours pas autorisé et est passible d’une peine de prison. Aujourd’hui, seule une grossesse mettant en danger la vie de la mère peut être interrompue. En cas d’un viol, d’un inceste ou d’une grossesse hors mariage et donc non désirée, les femmes concernées ne peuvent se faire avorter. Et si elles le font, elles risquent jusqu’à 2 ans de prison. Le code pénal prévoit par ailleurs 1 à 5 ans pour quiconque pratique un avortement sur autrui, de 10 à 20 ans s’il y a décès de la patiente et jusqu’à 30 ans s’il y a récidive.
Une pénalisation de l’interruption volontaire de la grossesse qui explique le nombre d’avortements effectués, soit 1 000 par jour, avancé par l’Organisation mondiale de la santé. L’importance du nombre d’avortements n’est pas la seule conséquence de la pénalisation retenue par le code pénal puisque, selon les associations féminines, on compte également un grand nombre de suicides parmi ces femmes et jeunes filles. C’est la seule issue, dit-on dans le milieu associatif, lorsqu’il n’y a pas de possibilité d’avorter ni de prise en charge et d’accompagnement psychologique. Il faut aussi souligner la forte mortalité des femmes par intoxication suite à la prise de recettes abortives.
Autre conséquence de la pénalisation de l’avortement : l’abandon des enfants. En effet, lorsque les grossesses non désirées aboutissent les enfants sont dans la majorité des cas abandonnés dans la rue. Selon les chiffres communiqués par les associations, prés de 10 000 enfants ont été abandonnés depuis 2014. Les associations notent également que 100 naissances de pères inconnus sont enregistrées quotidiennement. Des chiffres qui risquent d’augmenter si l’avortement n’est pas légalisé et si l’article 453 du code pénal n’est pas amendé.
L’interdiction légale de l’avortement explique la situation précaire et difficile de ces femmes qui n’ont d’autre choix que de tomber dans la clandestinité lorsqu’elles souhaitent avorter.
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