Vendredi 7 juin, le Sénat avait voté un texte en faveur de l’allongement du délai d’interruption volontaire de grossesse (IVG), passant de 12 à 14 semaines, il est revenu mardi dernier sur sa décision. L’amendement n’entrera donc pas en vigueur suite à une seconde délibération organisée à la demande de la commission des affaires sociales. Un revirement sans surprise pour les associations féministes.
Dans le cadre de l’examen en première lecture des articles du projet de loi santé, l’allongement du délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines avait été adopté à majorité par le Sénat. La proposition de l’ex-ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes Laurence Rossignol n’était pourtant pas au goût des sénateurs de droite, majoritaires dans l’hémicycle, mais présents en trop faible nombre lors de son adoption. Avant l’approbation solennelle du texte initialement prévue mardi dernier, la commission des affaires sociales, présidée par Alain Milon (Les Républicains), a demandé une seconde délibération, acceptée par la ministre de la Santé Agnès Buzyn. Les parties prenantes du Sénat sont finalement revenues sur leur décision.
Des conditions de vote jugées inadéquates
« Les conditions dans lesquelles s’est prononcé le Sénat vendredi dernier pour allonger le délai pour recourir à une IVG, n’étaient pas satisfaisantes », déclare la ministre de la Santé, ajoutant qu’elle souhaitait « réunir toutes les conditions pour que ce débat légitime ait lieu dans le bon cadre ».
Seulement 22 sénateurs sur 348 étaient présents lors du vote du 7 juin relatif au prolongement du délai de l’IVG, adopté à 12 voix contre 10. Un amendement qui intervient, pour Alain Milon
« sans qu’aucune intervention préalable n’ait été menée sur le sujet », demandant sa suppression, finalement obtenue à 205 voix contre 102.
Un enjeu de justice social identifié
à l’initiative de l’amendement, la sénatrice Laurence Rossignol dénonce quant à elle « une petite combine de procédure mise au point par le groupe LR et le Gouvernement pour s’opposer à une avancée très attendue sur l’accès à l’IVG ». Cet allongement du délai est considéré comme une véritable mesure de justice sociale pour l’ancienne ministre. Dans son argumentaire, elle souligne que 3 000 à 5 000 Françaises se rendent chaque année à l’étranger, une fois le délai des 5 semaines pour l’avortement médicamenteux et 12 semaines pour l’intervention chirurgicale passé. Elles vont ainsi en Espagne ou aux Pays-Bas, dont les délais d’IVG vont respectivement jusqu’à 22 et 24 semaines de grossesse. Elle avance par ailleurs le fait que « 74 % des femmes qui pratiquent un avortement sont sous contraception », allant à l’encontre de l’idée qu’une meilleure information suffirait.
Des difficultés d’accès à l’IVG
Selon les chiffres de l’Ined, le nombre d’IVG pratiquées entre 12 et 14 semaines correspond à environ une IVG sur 20 pratiquées en France. Bien que la plupart des IVG se pratiquent avant le stade des 10 semaines d’aménorrhée, selon les déclarations de Véronique Séhier, co-présidente du Planning familial en France, pour France 24, plusieurs causes peuvent être à l’origine de difficultés d’accès à l’IVG rencontrées par les femmes.
Tout d’abord, l’éloignement géographique de certains centres médicaux : pas moins de 130 établissements le pratiquant, ont fermé entre 2001 et 2011, à laquelle s’ajoute la clause de conscience dont les médecins peuvent se prévaloir avant la pratique d’une IVG. Ayant fait débat fin mars à l’Assemblée, visant sa suppression, elle avait pourtant été maintenue malgré les questionnements puisqu’elle apportait, selon Agnès Buzyn, « la garantie d’un parcours simple […] évitant aux femmes de prendre rendez-vous avec des médecins qui éventuellement peuvent leur faire perdre du temps s’ils sont contre l’IVG ». Des conditions selon lesquelles l’interruption de grossesse, au-delà de la volonté de la femme et des décisions de l’hémicycle, serait donc soumise à des choix externes. Découvertes tardives, situations de violence, « celles qui n’ont pas les moyens de se rendre à l’étranger sont confrontées à une grossesse non désirée », précise Véronique Séhier. « Le Sénat étant une chambre du Parlement pas forcément progressiste, on n’est pas très surpris mais on est très déçus », ajoute-elle.
Un projet de loi en prévision
Dans un communiqué daté du 11 juin dernier, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité en les hommes et les femmes, annonce son soutien à l’étude d’un allongement « raisonnable » des délais de l’IVG et à la mission lancée par la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et sa présidente, la députée Marie-Pierre Rixain. Porte-parole de la France lors de la 62e Commission de la condition de la femme aux Nations Unies, Marlène Schiappa avait revendiqué sa nation comme défendant « partout, toujours, les droits sexuels et reproductifs et l’accès à la contraception », déplorant à cet égard les décisions de la Hongrie, de la Pologne et des États-Unis « de remettre en cause, plus ou moins insidieusement, l’accès à l’avortement ». Dans ce communiqué, elle confirme son intention de dépôt d’une proposition de loi, ayant pour objectifs d’expertiser l’accès à l’IVG en France et l’allongement du délai d’accès de 12 à 14 semaines.
https://www.affiches-parisiennes.com/ivg-la-marche-arriere-du-senat-9108.html