«Il prêche un cas absolu et extrême contre l’avortement qui n’a rien à voir avec la réalité…»
Un film américain controversé contre l’avortement doit bientôt sortir dans les salles canadiennes, et le distributeur se prépare à d’éventuelles manifestations.
Plus de 24 cinémas à travers le pays — dont au Québec — doivent projeter Unplanned pendant une semaine à partir du 12 juillet, un film qui a suscité un débat intense lors de la sortie américaine du studio de production chrétien Pure Flix.
Ashley Bratcher joue le rôle d’une directrice d’une clinique Planned Parenthood au Texas, qui devient oratrice anti-avortement après avoir vu «quelque chose qui a tout changé» pour elle, selon une description figurant sur le site web du film.
Cary Solomon et Chuck Konzelman ont coscénarisé et coréalisé le long métrage de fiction, basé sur un mémoire du même nom rédigé par la militante anti-avortement Abby Johnson.
BJ McKelvie, pasteur et président du distributeur canadien établi à Fredericton, Cinedicom, a affirmé que certains groupes avaient signifié leur intention de manifester contre le film, mais qu’il y aurait aussi des gens qui le soutiendraient.
«Nous avons une entreprise qui fait l’objet d’une surveillance particulière, alors il va y avoir de la sécurité là-bas. Il s’agit de The Movie Mill à Lethbridge, en Alberta. Il est regrettable qu’elle ait reçu beaucoup de menaces, beaucoup de courriels», a fait valoir M. McKelvie.
Le film a déjà suscité des réactions passionnées de groupes opposés sur cette question aux États-Unis.
Des critiques de films réputés sur les sites d’agrégation Metacritic et Rotten Tomatoes ont eu des mots durs, beaucoup y voyant de la propagande. Mais les cotes du public sont plus élevées et certaines salles étaient remplies au maximum de leur capacité, des organisations confessionnelles et anti-avortement ayant organisé des projections de groupe aux États-Unis.
Au Canada, la cote varie d’une province à l’autre. En Alberta, par exemple, il a reçu une classification 14A avec un avertissement de «contenu dérangeant», selon le site web de Cineplex, alors qu’en Colombie-Britannique, le film a une cote PG — Surveillance parentale conseillée. Il semble qu’au Québec, la cote sera «R», pour interdiction aux personnes âgées de moins de 18 ans.
«Tout le monde a le droit de choisir d’aller voir le film ou de ne pas aller le voir», a récemment déclaré M. McKelvie en entrevue.
Mais la Coalition pour le droit à l’avortement du Canada présente le film comme «une dangereuse propagande anti-avortement» contenant «de vicieux mensonges».
«Il prêche un cas absolu et extrême contre l’avortement qui n’a rien à voir avec la réalité», a déclaré CDAC dans un communiqué.
«En raison de la diabolisation des fournisseurs d’avortements par le film, CDAC craint que le film incite les fanatiques à commettre des actes de harcèlement ou de violence à l’encontre de cliniques ou de médecins», ajoute l’organisation.
Selon la Coalition, le film décrit également Planned Parenthood et ses dirigeants comme des «monstres démoniaques au cœur froid, leur seul objectif étant de maximiser les profits en vendant autant d’avortements que possible».
«En réalité, la Planned Parenthood Federation of America est une organisation à but non lucratif qui propose un large éventail de services de santé de base, principalement gratuits, aux personnes à faible revenu, l’avortement ne représentant que 3,4 % de ses services», indique le communiqué.
«À l’instar d’autres prestataires américains d’avortement, les cliniques de planification familiale n’ont d’autre choix que de facturer les soins de l’avortement, car des lois anti-choix interdisent le financement gouvernemental de l’avortement», fait-on valoir.
La directrice générale de la CDAC, Joyce Arthur, a également souligné que la tentative du film de contester le droit à l’avortement est «un non d’entrée de jeu au Canada, où les femmes et les personnes transgenres ont un droit en vertu de la Charte à l’avortement fondé sur leur droit à l’autonomie et à l’égalité».
M. McKelvie a reconnu qu’il avait un intérêt personnel à voir le film dans les salles ici.
«Cela correspond certainement à mes valeurs», a-t-il affirmé.
Il a dit avoir senti l’obligation de contacter les producteurs américains de Unplanned pour distribuer le film au Canada après avoir été «agacé» par la «désinformation» en ligne sur le fait que le drame avait été interdit de diffusion au Canada.
«Je marchais dans le couloir en marmonnant et j’ai entendu le Seigneur me dire: “Pourquoi ne le distribues-tu pas?”», a dit M. McKelvie.
Le film sera projeté dans des cinémas Cineplex et Landmark, ainsi que dans certains cinémas indépendants au Canada.
Landmark a déclaré ne pas avoir entendu parler de manifestations prévues dans ses salles et n’avoir pris aucune mesure pour renforcer la sécurité. Cineplex a affirmé être au courant des préoccupations entourant le film et surveiller de près la situation.
«Nous diffusons des films depuis plus de 100 ans et les films controversés sur grand écran ne sont pas nouveaux pour nous. Cela dit, nous comprenons et pouvons bien sûr comprendre les préoccupations que certains ont exprimées à propos de ce film», a déclaré par communiqué Sarah Van Lange, directrice des communications pour Cineplex Entertainment.
«Nous avons un long héritage de ne pas censurer le contenu et notre rôle en tant qu’exposant de films est de fournir à nos usagers un choix de films», a-t-elle soutenu.
La société de M. McKelvie, fondée il y a 61 ans par son défunt père, est généralement un courtier en cinéma. Unplanned marque sa première participation en tant que distributeur de films.
Cinedicom et la société de production américaine Soli Deo Gloria Releasing collaborent pour garantir les fonds nécessaires à la distribution au Canada.
M. McKelvie a indiqué que quelques salles au pays ont refusé de présenter le film.
«Je pense que certaines petites villes sont un peu inquiètes quant aux éventuels contrecoups», a-t-il estimé.
«C’est un sujet d’actualité, un film d’actualité et j’ai probablement reçu des centaines de lettres de soutien. Mais j’ai aussi reçu des lettres de protestation et des appels téléphoniques. J’ai écouté les deux côtés, mais je ne suis qu’un distributeur», a fait valoir M. McKelvie