22/11/2019
Le protocole abrogé considérait que les grossesses des enfants de moins de 15 ans sont dangereuses pour leur santé.
Moins de trois semaines avant de quitter le pouvoir, le président argentin, Mauricio Macri, a signé un décret, dans la nuit du jeudi 21 au vendredi 22 novembre, abrogeant un texte adopté deux jours plus tôt qui facilitait notamment l’accès à l’avortement aux enfants de moins de 15 ans. Ainsi désavoué, le secrétaire d’Etat à la santé, Adolfo Rubinstein, à l’origine du texte, a présenté sa démission.
Le texte signé par M. Rubinstein « a été une décision unilatérale, et ce n’est pas bien », a justifié M. Macri dans une vidéo sur Instagram, tandis que le secrétaire d’Etat démissionnaire regrettait « la répercussion politique » de l’affaire.
Si, en Argentine, l’avortement est illégal, l’article 86 du code pénal de 1921 le dépénalise lorsque la grossesse est issue d’un viol ou lorsqu’elle met en danger la santé ou la vie de la femme enceinte. Ces avortements permis par la loi sont appelés « interruptions légales de grossesse » ou ILG (tandis que les interruptions « volontaires » – IVG –, elles, sont toujours interdites).
En 2012, face aux difficultés d’accès à ces ILG – les hôpitaux exigeant aux femmes une autorisation judiciaire –, la Cour suprême avait rendu un arrêt historique, qui exhortait les différentes autorités nationales et provinciales à se doter d’un protocole de soins hospitaliers pour l’accès aux avortements légaux.
Zones grises
Le ministère de la santé du gouvernement de Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015) avait donc publié en 2015 un « protocole pour les soins intégraux des personnes ayant droit à l’interruption légale de grossesse » – actualisé en 2016.
Ce protocole a été à nouveau mis à jour mardi 19 novembre par une résolution ministérielle publiée au Journal officiel, ce qui lui donnait, pour la première fois, une existence juridique. Jusque-là, il ne s’agissait en effet que d’une publication informelle sur le site du ministère.
C’est cette résolution ministérielle, qui précisait certaines zones grises des versions précédentes du protocole, notamment en ce qui concerne les enfants de moins de 15 ans, qui a été abrogée par décret par le président Mauricio Macri. Mais les avocats débattaient encore, vendredi, pour savoir si l’abrogation concernait l’intégralité du protocole de 2015, ou uniquement sa mise à jour.
Cette dernière prévoyait, notamment, que « pour les grossesses de mineures de moins de 15 ans, la possibilité d’accès à l’ILG doit être garantie » de toute façon car, dans ces cas, « la grossesse implique en elle-même un risque augmenté pour la santé tant physique que psychologique » de l’enfant.
S’il avait été appliqué à l’époque, le protocole aurait permis à la petite Lucia, 11 ans, violée par le compagnon de sa grand-mère, d’avorter sans délai dès qu’elle en avait fait la demande. Au lieu de cela, elle avait dû attendre pendant un mois à l’hôpital que les autorités médicales se résolvent à pratiquer l’opération. Les médecins avaient finalement estimé qu’il était trop tard pour une interruption de grossesse et avaient pratiqué une césarienne. Ils sont poursuivis aujourd’hui pour homicide aggravé, le bébé étant mort dix jours après sa naissance.
« Nous restons mobilisés »
Le texte abrogé par M. Macri permettait aussi aux adolescentes d’entre 13 et 16 ans d’avorter sans autorisation parentale et imposait au corps médical un délai maximum de dix jours entre la demande de la femme et la réalisation de l’ILG.
Pour en justifier l’abrogation, le président Mauricio Macri a estimé dans son décret que « la résolution a été rédigée par le secrétariat à la santé sans demander leur opinion à ses supérieurs hiérarchiques ». Le décret est également signé par son chef de cabinet, Marcos Peña, et par la ministre de développement social, Carolina Stanley, dont dépend Adolfo Rubinstein. « Le président de la nation est le chef suprême de la nation, le chef du gouvernement et le responsable politique de l’administration générale du pays », conclut le décret.
« La campagne nationale pour le droit à l’avortement légal, sans risque et gratuit répudie cette décision présidentielle arbitraire, illégitime et honteuse, a immédiatement réagi le collectif d’ONG à l’origine du projet de loi discuté – et rejeté – en 2018. La mise à jour du protocole aurait permis une plus grande clarté dans les pratiques d’ILG. (…) Nous ne permettrons pas de retours en arrière, nous restons mobilisées pour défendre ce qui est notre droit. »
Divisions
Le sujet de l’avortement avait divisé toute la société argentine en 2018. La coalition au pouvoir jusqu’au 10 décembre, intégrée notamment par Proposition républicaine (PRO, le parti de M. Macri) et par le Parti radical dont fait partie Adolfo Rubinstein, n’avait pas fait exception. La publication de la mise à jour du protocole, mardi, avait provoqué autant d’applaudissements que de critiques au sein de l’actuelle majorité.
« Il n’y a aucune raison pour l’abroger !, a tweeté, jeudi, le député PRO Daniel Lipovetsky, qui avait défendu le projet de légalisation de l’IVG en 2018
. C’est une absurdité qu’il y ait encore des provinces qui ne l’appliquent pas. »
Le débat sur l’abrogation du protocole a relancé celui sur la légalisation de l’IVG. Le président élu, Alberto Fernandez, a annoncé qu’il enverrait un projet de loi au Congrès dès son arrivée au pouvoir, le 10 décembre.
Entre 370 000 et 522 000 femmes avortent tous les ans clandestinement en Argentine. Selon les chiffres officiels, trente en sont mortes en 2017. Deux d’entre elles avaient entre 15 et 17 ans. Tous les ans, environ 2 400 enfants de 10 à 14 ans deviennent mères.