18/12/2019
C’est la journée internationale des migrants et des migrantes. Les femmes sont bien présentes dans les flux migratoires mais très souvent absentes des politiques et des actualités à ce sujet. Quel est le parcours de ces femmes qui demandent l’asile chez nous pour échapper dans leur pays à des violences de genre?
Les Grenades ont rencontré une de ces femmes, contrainte de quitter le Sénégal.
Le Sénégal fait partie des pays les plus restrictifs au monde en matière d’avortement. Les IVG y sont interdites sans aucune exception, même pas pour les grossesses issues de viol ou d’inceste. Seul un danger pour la vie de la mère est reconnu comme un motif valable d’avortement, à la suite d’une longue procédure.
Lors de grossesses non désirées, les femmes sont donc obligées d’avorter illégalement avec tous les risques que cela représente. C’est ce qui est arrivé à Ndeye Khady Gueye et c’est la raison pour laquelle elle demande l’asile en Belgique. « Je suis tombée enceinte hors mariage et ce n’était pas le bon moment pour moi d’avoir un enfant. J’ai donc décidé d’avorter même si cela est interdit dans mon pays. J’ai attendu un peu car j’ai appris que j’étais enceinte très peu de temps après la mort de mon père, j’ai d’abord dû gérer cela. J’ai finalement avorté illégalement à 12 semaines », raconte-t-elle. « J’en avais parlé au père avant, à part des inquiétudes pour ma santé, il n’avait rien dit. Lorsqu’il a appris que j’avais avorté, il est devenu violent. Il m’a dénoncée à la police. J’ai dû fuir parce que je risquais la prison si je restais « , continue-t-elle d’une traite alors que ses yeux se perdent dans le vide. Dans ses souvenirs.
Six mois à deux ans de prison
Ndeye Khady Gueye a raison d’avoir peur. En 2012, d’après l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), les procès des femmes qui ont avorté représentaient 25 % des affaires jugées dans les tribunaux d’assises. L’article 305 du Code pénal punit ces femmes d’une peine pouvant aller de six mois à deux ans de prison et d’une amende comprise entre 20.000 et 100.000 francs CFA.
Dans sa fuite, elle passe par la Grèce d’abord puis la Belgique où elle arrive en septembre 2015. Elle dépose alors une première demande d’asile. « J’ai été déboutée. Les autorités ne doutent pas que j’ai subi un avortement illégal, j’ai été voir un gynécologue dès mon arrivé en Belgique, j’étais dans un sale état, j’avais très mal au ventre. Il y a donc des preuves que j’ai avorté. Ils doutent par contre que la police soit au courant. Pourquoi est-ce que j’aurais quitté mon travail et ma famille sinon ? Je vivais bien là-bas, ici ce ne sont pas des vacances. J’ai dormi à la rue « , raconte Ndeye Khady Gueye. » Ce qui est particulier dans l’affaire de Khady, c’est que le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) estime que sa déclaration est crédible, estime qu’elle a bien avorté mais doute de la réaction de cet homme qui la dénonce ou de la réaction de la société sénégalaise dans son ensemble. Ils pensent qu’elle ne risque rien dans son pays vu qu’ils estiment que les autorités sénégalaises ne sont pas au courant de son avortement. « , analyse son avocate, Estelle Didi. « Au Sénégal, La police est passée à mon travail et à mon domicile », explique encore Ndeye Khady Gueye.
« Les violences basées sur le genre ne sont pas prises au sérieux »
La Convention de Genève règle le statut des réfugié.e.s par 5 critères; le genre n’en fait pas partie. « Dans ma pratique d’avocate féministe, je constate que les violences basées sur le genre ne sont ni suffisamment ni systématiquement prises au sérieux « , fait remarquer Estelle Didi. Une affirmation avec laquelle Damien Dermaux, porte-parole du CGRA, n’est pas d’accord. » Il existe une série de dispositions et de précautions pour les femmes qui sont persécutées à cause de leur sexe. On peut penser aux crimes d’honneur, aux mariages forcés, à la violence sexuelle ou à des persécutions à cause de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Dès le départ, lors du screening du dossier, s’il y a des éléments qui posent la question du genre, une procédure spéciale est mise en place avec notamment une officier de protection féminine et une interprète féminine pour l’audition. Cette officier de protection a reçu une formation spécifique continue pour pouvoir donner les outils nécessaires et nous tenons compte de ces violences dans l’évaluation des demandes d’asile. Nous avons aussi une coordinatrice sur cette question, Valentine Audate, qui s’occupe de donner des lignes directrices transversales sur ce sujet, qui dépassent le seul pays d’origine des demandeuses d’asile « , explique-t-il.
Recommencer à zéro
La fin du périple n’est pas encore en vue pour Ndeye Khady. Elle pourra déposer une deuxième demande d’asile dans notre pays seulement si de nouveaux éléments s’ajoutent à sa première demande.
« Ce qui est difficile pour elle, c’est qu’elle était une femme émancipée au Sénégal, une professeure d’économie et qu’ici elle doit tout recommencer à zéro. Elle habite dans un squat, si la police la contrôle demain, elle sera renvoyée au Sénégal sans autre forme de procédure puisqu’elle n’a pas de papier et pas de nouvelle demande d’asile en cours « , soutient son avocate. « Aucune personne sensée n’aurait quitté la vie que j’avais pour vivre ce que j’ai vécu jusqu’à présent. J’ai poussé un ouf de soulagement quand je suis arrivée en Belgique. Pour moi, c’était un pays qui respectait les droits des femmes, je ne pensais pas que j’allais galérer autant. Parfois, je me dis que j’aurais mieux fait de prendre 10 ans de prison dans mon pays plutôt que de vivre tout ça. Cela a été la désillusion totale. Dans le futur, j’espère retrouver ma liberté et ma dignité. Je suis obligée de me cacher, dans la peur d’un contrôle de police. Je suis déjà comme en prison « , termine-t-elle dans un souffle.
40 ans de la CEDEF
Ce 18 décembre 2019 est par ailleurs une date anniversaire, celui de la Convention sur l’Élimination de toutes les formes de Discrimination à l’Égard des Femmes (CEDEF) qui a été ouverte aux signatures le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies. La Belgique n’a ratifié la Convention qu’en 1985. Les associations de terrain soulignent encore de nombreux points urgents qui évoluent trop lentement dans notre pays : lutte contre les violences et contre les discriminations croisées, discrimination sur le marché du travail et dans l’enseignement, accès à l’avortement et à la contraception ainsi que la prise en compte des spécificités de genre dans les politiques d’asile. Cette année, la Belgique a été rappelée à l’ordre par l’ONU. Le Comité des droits de l’Homme a notamment demandé à la Belgique d’intensifier sa lutte contre les violences faites aux femmes.
Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par Alter-Egales (Fédération Wallonie Bruxelles) qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.